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Causerie

C'est un spectacle si profondément affligeant de voir un officier devenu assassin, que la conscience publique éprouverait une sorte de soulagement à trouver la moindre excuse au sous-lieutenant Anastay. Mais on a beau scruter tous les détails de l'horrible drame et peser les aveux mêmes du coupable, tout contribue au contraire à rendre son crime plus odieux.

Anastay n'a pas tué pour avoir subi dès l'enfance la longue influence d'un milieu dégradant ou les dépressions de la misère. Il n'a pas été poussé par ces instincts de bête humaine qui surgissent presque fatalement dans l'âme obscure des bandits d'origine, comme Gamahut, lesquels entrent dans le crime comme dans une carrière. Il était intelligent, instruit et bien élevé; il avait l'honneur d'exercer la plus noble des professions et de commander à des soldats français ; un brillant avenir s'ouvrait devant lui, illuminé par des rêves de gloire...

Il a assassiné pourtant, après avoir longuement prémédité son forfait, achetant deux couteaux l'un « pour la pointe et l'autre pour la taille », en homme qui raisonne la tactique de regorgement. Il a assassiné froidement et lâchement, pour se procurer de l'argent, pour voler, pour jouir, comme un Pranzini ou un Marchandon. Et chez qui va-t-il pour tenter son coup? Qui choisit-il comme victime ? Une vieille femme aux cheveux blancs, sa bienfaitrice, que son grand âge et ses bontés pour lui rendaient deux fois sacrée.

C'est donc un atroce bandit, un ignoble et complet gredin. Hélas ! il ne reste même pas dans ce coeur vil, une parcelle, je ne dirai point d'honneur, mais simplement d'orgueil. Quelques jours après le meurtre, Anastay savait sûrement, par les journaux, que la police était sur ses traces. Comment donc, en voyant se resserrer autour de lui les cercles de l'enquête, n'a-t-il point songé au suicide?

Ce fils de pharmacien n'a même pas eu l'idée de se munir, dans l'officine paternelle, d'un de ces poisons subtils et foudroyants qui sont la ressource dernière des désespérés ou des déshonorés. Cet officier n'a même pas pensé à charger son revolver d'ordonnance, qu'on a trouvé vide chez lui au moment de l'arrestation. Il ne s'est pas dit qu'un seul moyen lui restait de mériter quelque pitié : c'était de ne point tomber vivant entre les mains de la police, d'éviter par la mort volontaire la suprême déchéance de la prison, du jugement et de la guillotine.

Et pourtant, si indigne que soit le misérable de tout sentiment de commisération, on ne peut songer sans une douloureuse angoisse au sort qui l'attend. Quelle fin lamentable pour un homme qui aurait pu mourir glorieusement sur les champs de bataille de la revanche, que de tomber place de la Roquette, sous le couperet infamant dont meurent les assassins !

C'est une bien sotte coutume que les étrennes. Je comprends qu'on ait plaisir à faire des cadeaux, et je n'ignore pas qu'il est souvent plus doux de donner que de recevoir. Mais à condition que l'on donne à son heure, à qui vous plaît, quand on le veut et quand on le peut. Mais rien ne me paraît plus impertinent, plus vexatoire et plus ridicule que cet usage qui exige qu'une fois l'an, à la même époque, on soit obligé de combler de cadeaux un tas de gens dont la bonne moitié, au moins, vous sont indifférents ou importuns.

Hier, au moment où j'établissais la douloureuse nomenclature des étrennes qu'il me faut prodiguer, sans que personne me rende la réciproque, j'ai eu la curiosité de rechercher les origines de cette coûteuse tradition. Le Larousse, l'encyclopédie si chère à M. Floquet, m'a offert immédiatement tous les trésors de son érudition pour tous.

Il m'a tout d'abord appris que les étrennes remontent à la plus haute antiquité. Il ne serait même pas invraisemblable de supposer qu'Adam donnait déjà des étrennes à Eve la blonde et au concierge du paradis terrestre, représenté par l'ange Gabriel. Chez les Romains, quand venaient les calendes de janvier, on se faisait des dons rustiques: figues, rayons de miel ou dattes. Hélas ! pourquoi l'humanité n'en est-elle pas restée à cette mode économique ? Mais vous voyez d'ici la tête de Mlle Emilienne d'Alençon, demandant au jeune duc d'Uzès quelles seront ses étrennes, si ce dernier lui répondait : des dattes ! Il est certain que s'il s'en fût tenu, avec la charmante dompteuse de lapins, à ces petits cadeaux virgiliens, l'auguste duchesse, sa mère, ne serait pas obligée de le pourvoir aujourd'hui d'un conseil judiciaire.

Malgré les efforts du christianisme qui tenta de les supprimer, comme un legs des païens, les étrennes n'ont fait que croître et embellir depuis l'antiquité. Elles sévissent même, aujourd'hui, chez les peuples les moins civilisés. Les voyageurs racontent que la veille du jour de l'an, en certaines tribus anthropophages de la Nouvelle-Calédonie, la mère fait cadeau à son fils d'une jeune fille qu'il épouse pour une nuit seulement. Le lendemain matin, on tue cette mariée éphémère ; on l'accommode ; on la fait cuire suivant les règles de la cuisinière bourgeoise des Canaques et on la mange en un repas de gala auquel assistent de nombreux parents. Cela s'appelle : dîner avec les membres de sa famille !

Un conseil pratique pour le premier janvier : Si votre domestique fume vos cigares, boit votre vin et fait main-basse sur la monnaie oubliée dans les poches de votre gilet, répondez-lui, quand il viendra réclamer ses étrennes, par ce joli mot du cardinal Dubois à son valet de chambre : Je te donne tout ce que tu m'as volé pendant l'année!
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